Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/43

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son cœur. Cette superstition de Lourdes, si grossière, n’était-elle pas le symptôme exécrable d’une époque de trop de souffrance ? Le jour où l’Évangile serait universellement répandu et pratiqué, les souffrants cesseraient d’aller chercher si loin, dans des conditions si tragiques, un soulagement illusoire, certains dès lors de trouver assistance, d’être consolés et guéris chez eux, dans leurs maisons, au milieu de leurs frères. Il y avait, à Lourdes, un déplacement de la fortune inique, un spectacle effroyable qui faisait douter de Dieu, une continuelle cause de combat, qui disparaîtrait dans la société vraiment chrétienne de demain. Ah ! cette société, cette communauté chrétienne, c’était au désir ardent de sa prochaine venue que toute l’œuvre aboutissait ! Le christianisme enfin redevenant la religion de justice et de vérité qu’il était, avant de s’être laissé conquérir par les riches et les puissants ! Les petits et les pauvres régnant, se partageant les biens d’ici-bas, n’obéissant plus qu’à la loi égalitaire du travail ! Le pape seul debout à la tête de la fédération des peuples, souverain de paix, ayant la simple mission d’être la règle morale, le lien de charité et d’amour qui unit tous les êtres ! Et n’était-ce pas la réalisation prochaine des promesses du Christ ? Les temps allaient s’accomplir, la société civile et la société religieuse se recouvriraient, si parfaitement qu’elles ne feraient plus qu’une ; et ce serait l’âge de triomphe et de bonheur prédit par tous les prophètes, plus de luttes possibles, plus d’antagonisme entre le corps et l’âme, un merveilleux équilibre qui tuerait le mal, qui mettrait sur la terre le royaume de Dieu. La Rome nouvelle, centre du monde, donnant au monde la religion nouvelle !

Pierre sentit des larmes lui monter aux yeux, et d’un geste inconscient, sans s’apercevoir qu’il étonnait les maigres Anglais et les Allemands trapus, défilant sur la terrasse, il ouvrit les bras, il les tendit vers la Rome