Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/433

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croisées sur les genoux, les yeux aigus et pénétrants, fixés dans les yeux du prêtre.

Enfin, quand celui-ci s’arrêta, il dit sans hâte :

— Monsieur l’abbé, j’ai cru devoir ne pas vous interrompre, mais je n’avais point à écouter tout ceci. Le procès de votre livre s’instruit, et aucune puissance au monde ne saurait en entraver la marche. Je ne vois donc pas bien ce que vous paraissez attendre de moi.

La voix tremblante, Pierre osa répondre :

— J’attends de la bonté et de la justice.

Un pâle sourire, d’une orgueilleuse humilité, monta aux lèvres du religieux.

— Soyez sans crainte, Dieu a toujours daigné m’éclairer dans mes modestes fonctions. Je n’ai, du reste, aucune justice à rendre, je suis un simple employé, chargé de classer et de documenter les affaires. Et ce sont Leurs Éminences seules, les membres de la congrégation, qui se prononceront sur votre livre… Ils le feront sûrement avec l’aide du Saint-Esprit, vous n’aurez qu’à vous incliner devant leur sentence, lorsqu’elle sera ratifiée par Sa Sainteté.

Il coupa court, se leva, forçant Pierre à se lever. Ainsi, c’étaient presque les mêmes paroles que chez monsignor Fornaro, dites seulement avec une netteté tranchante, une sorte de tranquille bravoure. Partout, il se heurtait à la même force anonyme, à la machine puissamment montée, dont les rouages veulent s’ignorer entre eux, et qui écrase. Longtemps encore, on le promènerait sans doute, de l’un à l’autre, sans qu’il trouvât jamais la tête, la volonté raisonnante et agissante. Et il n’y avait qu’à s’incliner.

Pourtant, avant de partir, il eut l’idée de prononcer une fois de plus le nom de monsignor Nani, dont il commençait à connaître la puissance.

— Je vous demande pardon de vous avoir dérangé inutilement. Je n’ai cédé qu’aux bienveillants conseils de monsignor Nani qui daigne s’intéresser à moi.