Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/492

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peu fréquentée : à peine quelques paysans en vieux chapeaux de feutre noir, un mulet blanc, une carriole attelée d’un âne ; c’était seulement le dimanche que les débits de vin se peuplaient et que les artisans à leur aise venaient manger le chevreau dans les bastides d’alentour. On passa devant une fontaine monumentale, à un coude du chemin. Tout un troupeau de moutons défila, barra un instant le passage. Et, toujours, au fond des lentes ondulations de l’immense Campagne rousse, Rome lointaine apparaissait dans les vapeurs violettes du soir, semblait s’enfoncer peu à peu, à mesure que la voiture descendait davantage. Il vint un moment où elle ne fut plus, au ras de l’horizon, qu’une mince raie grise, à peine étoilée de blanc par quelques façades ensoleillées. Puis, elle s’abîma en terre, elle se noya sous la houle des champs infinis.

Maintenant, la victoria roulait en plaine, laissant derrière elle les monts Albains, tandis qu’à droite, à gauche, en face, commençait la mer des prairies et des chaumes. Et ce fut alors que le comte, s’étant penché, s’écria :

— Tenez ! voyez donc en avant, là-bas, notre homme de ce matin, le Santobono en personne… Hein ? quel gaillard, comme il marche ! Mes chevaux ont peine à le rattraper.

Pierre se pencha à son tour. C’était bien le curé de Sainte-Marie des Champs, grand et noueux, comme taillé à coups de serpe, dans sa longue soutane noire. Sous la fine lumière, le clair soleil blond qui l’inondait, il faisait une dure tache d’encre ; et il allait d’un tel pas, régulier et rude, qu’il ressemblait au destin en marche. Au bout de son bras droit pendait quelque chose, un objet qu’on distinguait mal.

Quand la voiture eut fini par l’atteindre, Prada donna l’ordre au cocher de ralentir ; et il engagea la conversation.

— Bonjour, l’abbé ! vous allez bien ?

— Très bien, monsieur le comte. Mille grâces !