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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/494

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Il s’agita, les défendit, ne voulut absolument pas s’en séparer.

— Mille grâces ! mille grâces !… Elles ne me gênent pas du tout, elles sont très bien là, et je suis sûr de cette façon qu’il ne leur arrivera pas d’accident.

Cette passion de Santobono pour les fruits de son jardin amusait beaucoup Prada, qui poussait le coude de Pierre. Il demanda de nouveau :

— Et le cardinal les aime, vos figues ?

— Oh ! monsieur le comte, Son Éminence daigne les adorer. Autrefois, lorsqu’elle passait l’été à la villa, elle ne voulait pas en manger d’un autre arbre. Alors, vous comprenez, ça ne me coûte guère de lui faire plaisir, du moment que je connais son goût.

Mais il avait jeté sur Pierre un regard si aigu, que le comte sentit la nécessité de les présenter l’un à l’autre.

— Monsieur l’abbé Froment est justement descendu au palais Boccanera, où il loge depuis trois mois.

— Je sais, je sais, dit avec tranquillité Santobono. J’ai vu monsieur l’abbé chez Son Éminence un jour où, déjà, j’étais allé porter des figues. Seulement, elles étaient moins mûres. Celles-ci sont parfaites.

Il eut un regard de complaisance sur le petit panier, qu’il parut serrer plus étroitement entre ses doigts énormes, couverts de poils fauves. Et il se fit un silence, tandis que la Campagne se déroulait sans fin, aux deux bords. Les maisons avaient disparu depuis longtemps, pas un mur, pas un arbre, rien que les ondulations vastes, dont l’approche de l’hiver commençait à verdir les herbes maigres et rases. Une tour, une ruine à demi écroulée, qui apparut à gauche, prit tout à coup une importance extraordinaire, droite dans le ciel limpide, au-dessus de la ligne plate, illimitée de l’horizon. Puis, à droite, dans un grand parc, fermé de pieux, se montrèrent de lointaines silhouettes de bœufs et de chevaux ; d’autres bœufs, attelés encore, rentraient lentement du labour, sous les