Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Voyons, vous n’en avez pas besoin, laissez-le donc dans la voiture !

Le curé ne répondit pas, marcha devant, tandis que Pierre se décidait aussi à descendre, curieux de voir une osteria, une de ces guinguettes du petit peuple, dont on lui avait parlé.

Prada était connu, tout de suite une vieille femme s’était montrée, grande, sèche, d’allure royale dans sa misérable jupe. La dernière fois, elle avait fini par trouver une demi-douzaine d’œufs frais ; et, cette fois, elle allait voir, sans rien promettre d’avance ; car elle ne savait jamais, les poules pondaient au hasard, dans tous les coins.

— Bon, bon ! voyez cela, on va nous servir une carafe de vin blanc.

Tous trois entrèrent dans la salle commune. La nuit y était déjà noire. Bien que la saison chaude fût passée, on y entendait, dès le seuil, le ronflement sourd du vol des mouches. Une odeur âcre de vin aigrelet et d’huile rance prenait à la gorge. Et, dès que leurs yeux se furent un peu accoutumés, ils purent distinguer la vaste pièce, noircie, empuantie, meublée simplement de bancs et de tables, en gros bois, à peine raboté. Elle semblait vide, tellement le silence y était absolu, sous le vol des mouches. Il y avait pourtant là deux hommes, deux passants, immobiles et muets, devant leurs verres pleins. Sur une chaise basse, près de la porte, dans le peu de jour qui entrait, la fille de la maison, une maigre fille jaune, tremblait de fièvre, les deux mains serrées entre les genoux, oisive.

En sentant le malaise de Pierre, le comte proposa de se faire servir dehors.

— Nous serons beaucoup mieux, il fait si doux !

Et la fille, pendant que la mère cherchait les œufs et que le père, sous un hangar voisin, raccommodait une roue, dut se lever en grelottant, pour porter la carafe de vin et les trois verres sur une des tables de la tonnelle.