Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/505

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Elle empocha les six sous de la carafe, elle retourna s’asseoir, sans une parole, l’air maussade d’avoir été forcée de faire un tel voyage.

Gaiement, lorsque tous trois se furent attablés, Prada emplit les verres, malgré les supplications de Pierre, incapable, disait-il, de boire ainsi du vin entre ses repas.

— Bah ! bah ! vous trinquerez toujours… N’est-ce pas, l’abbé, qu’il est amusant, ce petit vin ?… Voyons, à la santé du pape, puisqu’il est souffrant !

Santobono, après avoir vidé son verre d’un trait, fit claquer sa langue. Il avait posé le panier par terre, à côté de lui, d’une main douce, avec un soin paternel ; et il enleva son chapeau, il respira largement. La soirée était vraiment délicieuse, une pureté de ciel admirable, un immense ciel d’or tendre, au-dessus de cette mer sans fin de la Campagne, qui allait s’endormir dans une immobilité, une paix souveraine. Et le petit vent dont les souffles passaient, au travers du grand silence, avait un goût exquis d’herbes et de fleurs sauvages.

— Mon Dieu ! qu’on est bien ! murmura Pierre gagné par ce charme. Et quel désert d’éternel repos, pour y oublier le reste du monde !

Mais Prada, qui avait vidé la carafe, en remplissant de nouveau le verre du curé, s’amusait fort, sans rien dire, d’une aventure, qu’il fut d’abord seul à remarquer. Il avertit le jeune prêtre d’un coup d’œil de gaie complicité ; et, dès lors, tous deux en suivirent les péripéties dramatiques. Quelques poules maigres erraient autour d’eux, dans l’herbe roussie, en quête des sauterelles. Or, une de ces poules, une petite poule noire, fine et luisante, d’une grande effronterie, ayant aperçu le panier de figues, par terre, s’en approchait avec hardiesse. Pourtant, quand elle fut tout près, elle prit peur, recula. Elle raidissait le cou, tournait la tête, dardait la braise de son œil rond. Enfin, la passion fut la plus forte ; et, comme une figue se montrait entre deux feuilles, elle s’avança sans hâte, en