Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/591

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qui l’accablait, il eut pour la première fois conscience de son état. Ah ! mourir, dans une telle douleur, une telle déchéance, quelle révoltante abomination pour cet être de légèreté et d’égoïsme, pour cet amant de la beauté, de la gaieté et de la lumière, qui ne savait pas souffrir ! Le destin féroce châtiait en lui avec trop de rudesse sa race finissante. Il se fit horreur à lui-même, il fut pris d’un désespoir, d’une terreur d’enfant, qui lui donnèrent la force de se soulever sur son séant et de regarder éperdument autour de la chambre, pour voir si tout le monde ne l’avait pas abandonné. Et, lorsque son regard rencontra Benedetta toujours agenouillée au pied du lit, il eut un suprême élan vers elle, il lui tendit ses deux bras, brûlant du désir égoïste de l’emmener à son cou.

— Oh ! Benedetta, Benedetta… Viens, viens, ne me laisse pas mourir seul !

Elle, dans la stupeur de son attente, immobile, ne l’avait pas quitté des yeux. Le mal horrible qui emportait son amant, semblait de plus en plus la posséder et la détruire, à mesure que lui s’affaiblissait. Elle devenait d’une blancheur immatérielle ; et, par les trous de ses prunelles si claires, on commençait à voir son âme. Mais, quand elle l’aperçut, ressuscitant, les bras tendus et l’appelant, elle se leva à son tour, elle s’approcha, se tint debout près du lit.

— Je viens, mon Dario… Me voilà, me voilà !

Et Pierre et Victorine, alors, toujours à genoux, assistèrent à l’acte sublime, d’une si extraordinaire grandeur, qu’ils en restèrent cloués au sol, comme devant un spectacle extra-terrestre, où les humains n’avaient plus à intervenir. Elle-même, Benedetta parlait, agissait en créature délivrée de tous liens conventionnels et sociaux, déjà hors de la vie, ne voyant et n’interpellant plus les êtres et les choses que de très loin, du fond de l’inconnu où elle allait disparaître.

— Ah ! mon Dario, on a voulu nous séparer. Oui, c’est