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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/592

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pour que je ne puisse me donner à toi, c’est pour que nous ne soyons jamais heureux, aux bras l’un de l’autre, qu’on a résolu ta mort, en sachant bien que ta vie emporterait la mienne… Et c’est cet homme qui te tue, oui ! il est ton assassin, même si un autre t’a frappé. C’est lui qui est la cause première, qui m’a volée à toi quand j’allais être tienne, qui a ravagé notre existence à tous deux, qui a soufflé autour de nous, en nous, l’exécrable poison dont nous mourons… Ah ! que je le hais, que je le hais, d’une haine dont je voudrais l’écraser avant de partir à ton cou !

Elle n’élevait pas la voix, elle disait ces choses affreuses dans un murmure profond, simplement, passionnément. Prada ne fut pas même nommé, et elle se tourna à peine vers Pierre, frappé d’immobilité, derrière elle, pour ajouter d’un air de commandement :

— Vous qui verrez son père, je vous charge de lui dire que j’ai maudit son fils. Le héros si tendre m’a bien aimée, je l’aime bien encore, et cette parole que vous lui porterez lui déchirera le cœur. Mais je veux qu’il sache, il doit savoir, pour la vérité et pour la justice.

Fou de peur, sanglotant, Dario tendit de nouveau les bras, en sentant qu’elle ne le regardait plus, qu’elle n’avait plus ses yeux clairs fixés sur les siens.

— Benedetta, Benedetta… Viens, viens, oh ! cette nuit toute noire, je ne veux pas y entrer seul !

— Je viens, je viens, mon Dario… Me voilà !

Elle s’était rapprochée encore, elle le touchait presque, debout contre le lit.

— Ah ! ce serment que j’avais fait à la Madone de n’être à aucun homme, pas même à toi, avant que Dieu l’eût permis, par la bénédiction d’un de ses prêtres ! Je mettais une noblesse supérieure, divine, à être immaculée, vierge comme la Vierge, ignorante des souillures et des bassesses de la chair. Et c’était en outre un cadeau d’amour exquis et rare, d’un prix inestimable, que je voulais faire à