Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/705

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— Je pars ce soir, je n’ai pas voulu quitter Rome sans serrer vos mains vaillantes.

— Vous partez ? Mais votre livre ?

— Mon livre… J’ai été reçu par le Saint-Père, je me suis soumis, j’ai réprouvé mon livre.

Orlando le regarda fixement. Il y eut un court silence, pendant lequel leurs yeux se dirent, sur le cas, tout ce qu’il y avait à dire. Et ni l’un ni l’autre ne sentit la nécessité d’une explication plus longue. Le vieillard conclut simplement :

— Vous avez bien fait, votre livre était une chimère.

— Oui, une chimère, un enfantillage, et je l’ai condamné moi-même, au nom de la vérité et de la raison.

Un sourire reparut sur les lèvres douloureuses du héros foudroyé.

— Alors, vous avez vu, vous avez compris, vous savez maintenant ?

— Oui, je sais, et c’est pourquoi je n’ai pas voulu partir sans avoir avec vous la bonne et franche conversation que nous nous sommes promise.

Ce fut une joie pour Orlando. Mais, tout d’un coup, il parut se rappeler le jeune homme qui était allé ouvrir la porte, puis qui avait repris modestement sa place, sur une chaise, à l’écart, près de la fenêtre. C’était presque un enfant, vingt ans à peine, imberbe encore, d’une beauté blonde comme il en fleurit parfois à Naples, avec de longs cheveux bouclés, un teint de lis, une bouche de rose, des yeux surtout d’une langueur rêveuse et d’une infinie douceur. Et le vieillard le présenta paternellement : Angiolo Mascara, le petit-fils d’un de ses vieux camarades de guerre, l’épique Mascara des Mille, qui était mort en héros, le corps troué de cent blessures.

— Je le fais venir pour le gronder, continua-t-il en souriant. Imaginez-vous que ce gaillard-là, avec son air de fille, donne dans les idées nouvelles ! Il est anarchiste, des trois ou quatre douzaines d’anarchistes que nous