Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/717

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l’autre jour. Si vous aviez vu cette enfant se jeter à mon cou, m’appeler des plus doux noms, me dire que je serai le parrain de son premier fils, pour qu’il s’appelât comme moi et qu’il sauvât une seconde fois l’Italie… Oui, oui ! que la paix se fasse autour de ce prochain berceau, que l’union de ces chers enfants soit l’indissoluble mariage entre Rome et la nation entière, et que tout soit réparé, et que tout resplendisse dans leur amour !

Des larmes étaient montées à ses yeux. Pierre, très touché de cette flamme inextinguible de patriotisme, qui brûlait encore chez ce héros foudroyé, voulut lui faire plaisir.

— C’est le vœu que j’ai fait moi-même, à la fête de leurs fiançailles, en disant à votre fils à peu près ce que vous venez de dire. Oui ! que leurs noces soient définitives et fécondes, qu’il naisse d’elles le grand pays que je vous souhaite d’être, de toute mon âme, maintenant que j’ai appris à vous connaître !

— Vous avez dit ça ! cria Orlando, vous avez dit ça ! Allons je vous pardonne votre livre, vous avez compris enfin, et la nouvelle Rome, la voilà ! la Rome qui est la nôtre, que nous voulons refaire digne de son glorieux passé, une troisième fois reine du monde !

D’un de ses gestes amples, où il mettait tout ce qui lui restait de vie, il montra, par la fenêtre claire, sans rideaux, l’immense panorama qui se déroulait, Rome étalée au loin, d’un bout de l’horizon à l’autre. Sous le ciel couleur d’ardoise, sous ce deuil d’hiver si rare, la ville prenait une sorte de majesté plus haute, la mélancolique grandeur d’une cité reine, aujourd’hui déchue encore, qui attend, muette, immobile, dans l’air morne, le réveil éclatant, la royauté enfin reconnue de tous, qu’on lui a de nouveau promise. Des quartiers neufs du Viminal aux arbres lointains du Janicule, des toits roux du Capitole aux cimes vertes du Pincio, la houle des terrasses, des campaniles, des dômes, avait une largeur d’océan, dans un balancement sans fin de vagues profondes et grises.