Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/747

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la souffrance des misérables, dans l’irrésistible désir de les soulager, afin de conjurer les prochains massacres ; et son besoin de charité lui avait ainsi fait perdre les scrupules de son intelligence. Maintenant, il entendait la voix de son père, la raison haute, la raison âpre, la raison qui avait pu s’éclipser, mais qui revenait souveraine. Comme après Lourdes, il protestait contre la glorification de l’absurde et la déchéance du sens commun, il était la raison. Elle seule le faisait marcher droit et solide, parmi les débris des croyances anciennes, même au milieu des obscurités et des avortements de la science. Ah ! la raison, il ne souffrait que par elle, il ne se contentait que par elle, il jurait de la satisfaire toujours davantage, comme la maîtresse unique, quitte à y laisser le bonheur !

Ce qu’il fallait faire ? il aurait vainement, à cette heure, tâché de le savoir. Tout restait en suspens, il avait devant lui l’immense monde, encore encombré des ruines du passé, débarrassé demain peut-être. Là-bas, dans le faubourg douloureux, il allait retrouver le bon abbé Rose, qui, la veille encore, lui avait écrit de revenir, de revenir bien vite soigner ses pauvres, les aimer, les sauver, puisque cette Rome, si resplendissante de loin, était sourde à la charité. Et, autour du bon prêtre paisible, il retrouverait aussi le flot toujours croissant des misérables, les petits tombés des nids, qu’il ramassait pâles de faim, grelottant de froid, les ménages d’épouvantable détresse, où le père boit, où la mère se prostitue, où les fils et les filles tombent au vice et au crime, les maisons entières à travers lesquelles la famine soufflait, la saleté la plus basse, la promiscuité la plus honteuse, pas de meubles, pas de linge, une vie de bête qui se contente et se soulage comme elle peut, au hasard de l’instinct et de la rencontre. Puis, ce seraient encore les coups de froid de l’hiver, les désastres du chômage, des rafales de phtisie emportant les faibles, tandis que les forts serraient les