Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/748

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

poings, en rêvant de vengeance. Puis, un soir, il rentrerait peut-être dans quelque chambre d’épouvante, où une mère se serait tuée avec ses cinq petits, son dernier-né entre les bras, à sa mamelle vide, les autres épars sur le carreau nu, heureux enfin et rassasiés d’être morts. Non, non ! cela n’était plus possible, la misère noire aboutissant au suicide, au milieu de ce grand Paris regorgeant de richesses, ivre de jouissances, jetant pour le plaisir les millions à la rue ! L’édifice social était pourri à la base, tout croulait dans la boue et dans le sang. Jamais il n’avait senti à ce point l’inutilité dérisoire de la charité. Et, tout d’un coup, il eut conscience que le mot attendu, le mot qui jaillissait enfin du grand muet séculaire, du peuple écrasé et bâillonné, était le mot de justice. Ah ! oui, justice, et non plus charité ! La charité n’avait fait qu’éterniser la misère, la justice la guérirait peut-être. C’était de justice que les misérables avaient faim, un acte de justice pouvait seul balayer l’ancien monde, pour reconstruire le nouveau. Le grand muet ne serait ni au Vatican ni au Quirinal, ni au pape ni au roi, car il n’avait sourdement grondé au travers des âges, dans sa longue lutte, tantôt mystérieuse, tantôt ouverte, il ne s’était débattu entre le pontife et l’empereur, qui chacun le voulait à lui seul, que pour se reprendre, pour dire sa volonté de n’être à personne, le jour où il crierait justice. Demain allait-il donc être enfin ce jour de justice et de vérité ? Au milieu de son angoisse, partagé entre le besoin du divin qui tourmente l’homme, et la souveraineté de la raison, qui l’aide à vivre debout, Pierre n’était sûr que de tenir son serment, prêtre sans croyance veillant sur la croyance des autres, faisant chastement, honnêtement son métier, dans la tristesse hautaine de n’avoir pu renoncer à son intelligence, comme il avait renoncé à sa chair d’amoureux et à son rêve de sauveur des peuples. Et, de nouveau, de même qu’après Lourdes, il attendrait.