Page:Zola - Lettre à la France, 1898.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Voilà donc un premier point à noter : l’opinion publique est faite en grande partie de ces mensonges, de ces histoires extraordinaires et stupides, que la presse répand chaque matin ? L’heure des responsabilités viendra, et il faudra régler le compte de cette presse immonde, qui nous déshonore aux yeux du monde entier. Certains journaux sont là dans leur rôle, ils n’ont jamais charrié que de la boue. Mais, parmi eux, quel étonnement, quelle tristesse, de trouver, par exemple, une feuille comme L’Écho de Paris, cette feuille littéraire, si souvent à l’avant-garde des idées, et qui fait, dans cette affaire Dreyfus, une si fâcheuse besogne ! Les notes d’une violence, d’un parti pris scandaleux, ne sont pas signées. On les dit inspirées par ceux-là mêmes qui ont eu la désastreuse maladresse de faire condamner Dreyfus. M. Valentin Simond se doute-t-il qu’elles couvrent son journal d’opprobre ? Et il est un autre journal dont l’attitude devrait soulever la conscience de tous les honnêtes gens, je veux parler du Petit Journal. Que les feuilles de tolérance tirant à quelques milliers d’exemplaires hurlent et mentent pour forcer leur tirage, cela se comprend, cela ne fait d’ailleurs qu’un mal restreint. Mais que Le Petit Journal, tirant à plus d’un million d’exemplaires, s’adressant aux humbles, pénétrant partout, sème l’erreur, égare l’opinion, cela est d’une exceptionnelle gravité. Quand on a une telle charge d’âmes, quand on est le pasteur de tout un peuple, il faut être d’une probité intellectuelle scrupuleuse, sous peine de tomber au crime civique.

Et voilà donc, France, ce que je trouve d’abord, dans la démence qui t’emporte : les mensonges de la presse, le régime de contes ineptes, de basses injures, de perversions morales, auquel elle te met chaque matin.