Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/105

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rue de Boulogne ; puis il se souvint des mauvais jours qu’ils y avaient passés, il craignit de n’y plus trouver leur félicité première. Le lendemain, il écrivit à la jeune femme en la priant instamment de venir le rejoindre à Véteuil.

Madeleine fut heureuse de cet arrangement. Elle aussi craignait la solitude du pavillon, toute peuplée du souvenir de Jacques. Depuis quinze jours qu’elle y vivait isolée, elle s’y désespérait. Dès le premier soir, elle avait caché le portrait de l’homme dont le souvenir la possédait toujours ; en le gardant sans cesse sous les yeux, dans sa chambre à coucher, maintenant qu’elle était libre, elle aurait cru chaque nuit se livrer à un fantôme. Il lui arrivait même de s’emporter contre Guillaume qui la laissait ainsi dans une maison habitée par son ancien amant. Elle éprouva une véritable joie en fermant la porte du petit hôtel ; il lui sembla qu’elle y emprisonnait le spectre de Jacques.

Guillaume l’attendait à Mantes. Il la mena à quelques pas de la gare pour lui exposer le plan de leur vie nouvelle. Elle paraîtrait venir en villégiature dans le pays, et il feindrait de lui louer le pavillon situé au bout du parc ; là, il la verrait quand il voudrait. Madeleine hocha la tête ; il lui répugnait d’habiter encore chez son amant, elle cherchait de bonnes raisons pour refuser l’hospitalité qu’il lui offrait. Elle finit par lui dire qu’ils seraient moins libres en vivant tous les deux presque dans le même logis, que cela ferait jaser et qu’il valait mille fois mieux lui laisser habiter quelque petite maison voisine de la Noiraude. Le jeune homme comprit la sagesse de ces réflexions, en songeant au scandale produit jadis dans la contrée par la liaison du comte avec la femme du notaire. Il fut alors décidé entre eux qu’il allait retourner seul dans le cabriolet qui l’avait amené, et qu’elle prendrait la diligence pour arriver à Véteuil en étrangère. Dès qu’elle aurait arrêté une demeure, elle avertirait Guillaume.

Madeleine eut la bonne fortune de trouver sur-le-champ