Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette idée de mariage et de retraite dans une chartreuse d’amour, finit par paraître singulièrement comique à l’ancien chirurgien.

— Ah ! quel tempérament d’amoureux ! s’écria-t-il. Il ne veut pas croire qu’il n’y a que lui sur la terre bâti de cette façon… Mais, mon pauvre ami, on n’en fait plus des maris comme toi. Si je me mariais, je battrais peut-être ma femme au bout de huit jours, bien que je ne sois pas méchant. Comprends donc que nous n’avons pas le même sang dans les veines. Tu as pour la femme un respect ridicule ; moi, je la considère comme un régal exquis, mais dont il ne faut pas se donner chez soi des indigestions. Si je me mariais et si je me retirais ici, je plaindrais sincèrement la triste créature que j’y enfermerais en ma compagnie.

Guillaume haussa les épaules.

— Tu te fais plus noir que tu n’es, dit-il. Tu adorerais ta femme, tu la regarderais comme une idole le jour où elle te donnerait un enfant. Ne te moque pas de mon respect ridicule ; ce sera tant pis pour toi si tu ne l’as jamais. On ne doit aimer qu’une femme en sa vie, celle qui vous aime, et vivre tous deux de ce mutuel amour.

— Voilà une phrase que je reconnais, répondit Jacques avec quelque ironie, tu me l’as dite déjà sous les saules du ruisseau. Allons, tu n’as pas changé, je retrouve mon enthousiaste d’autrefois… Que veux-tu, je n’ai pas changé davantage, je comprends l’amour autrement. Une liaison éternelle me ferait peur, j’ai toujours évité de m’acoquiner à une jupe, et je m’arrange de façon à désirer toutes les femmes pour n’en aimer aucune. Le plaisir a sa douceur, mon cher trappiste…

Il s’arrêta un instant, puis il demanda tout à coup, de sa voix brutale et joyeuse :

— Es-tu heureux, toi, avec ta femme ?

Guillaume qui s’apprêtait à plaider en faveur de ses sentiments d’éternelle tendresse, fut calmé par cette