Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/155

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question personnelle qui éveillait en lui la sensation délicieuse de ses quatre dernières années de bonheur.

— Oh ! oui, heureux, bien heureux, répondit-il d’une voix attendrie. Tu ne peux t’imaginer une telle félicité, toi qui refuses de la goûter. C’est un bercement sans fin : il ne semble que je suis redevenu enfant et que j’ai trouvé une mère. Depuis quatre ans, nous vivons dans une pure joie. J’aurais voulu que tu fusses là pour apprendre à aimer. Ce silence, cette ombre qui t’effrayent, nous ont endormis dans un rêve divin. Et jamais nous ne nous réveillerons, mon ami ; j’ai la certitude et l’avant goût d’une éternité de paix.

Jacques, tandis qu’il parlait, le regardait avec curiosité. Il avait un vif désir de l’interroger sur sa femme, sur la bonne âme qui consentait à se noyer dans un pareil fleuve de lait.

— Ta femme est jolie ? demanda-t-il crûment.

— Je ne sais pas, répondit Guillaume, je l’aime beaucoup… Tu la verras demain.

— Est-ce à Véteuil que tu l’as connue ?

— Non. Je l’ai rencontrée à Paris. Nous nous sommes aimés, et je l’ai épousée.

Il sembla à Jacques qu’une légère rougeur montait aux joues de son ami. Il eut vaguement conscience de la vérité. Il n’était pas homme à s’arrêter dans son interrogatoire.

— Est-ce qu’elle a été ta maîtresse avant d’être ta femme ? demanda-t-il encore.

— Oui, pendant un an, répondit simplement Guillaume.

Jacques se leva, fit quelques pas en silence. Puis il revint se planter devant son ami, et, d’une voix grave :

— Autrefois, dit-il, tu m’écoutais quand je te grondais. Laisse-moi reprendre pour un instant mon ancien rôle de protecteur… Tu as fait une sottise, mon brave : on n’épouse jamais sa maîtresse. Tu ignores la vie ; un jour tu comprendras ta faute, tu te souviendras de mes paroles. Ces sortes de mariages sont exquis, mais ils