Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/208

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Ne te sens-tu pas plus tranquille, Madeleine, depuis que tu respires l’air glacé de cette chambre ?

La jeune femme pensait au pigeonnier de briques rouges et à la porte jaune de l’écurie.

— Il me semble, murmura-t-elle, que j’ai vu autrefois une cour semblable à celle de cette auberge… Je ne sais plus… Il doit y avoir longtemps.

Elle s’arrêta, anxieuse, comme si elle eût redouté de fouiller ses souvenirs. Son mari eut un léger sourire.

— Tu dors et tu rêves, Madeleine, dit-il de sa voix tendre. Va, nous sommes dans l’inconnu. Depuis hier, je rêvais de nous exiler ainsi, de nous mettre hors du monde. Cette chambre est triste, mais elle a pour nous un grand charme : elle ne nous parle que de l’heure présente, elle nous calme de son vide et de sa banalité. Je m’applaudis d’avoir eu l’idée de nous arrêter en chemin. Demain, nous aurons retrouvé notre bonheur… Espère, Madeleine.

Elle hochait la tête, sans quitter les flammes des yeux, elle balbutiait :

— Je ne sais ce que j’ai… j’étouffe, j’éprouve un vague malaise… j’ai eu peur, vois-tu, et je crois encore être menacée d’un danger…

Guillaume mit plus de tendresse dans son étreinte, le regard qu’il levait sur le visage effrayé de sa femme, devint d’une douceur exquise.

— Que crains-tu ? continua-t-il. N’es-tu pas dans mes bras ? Personne ici ne peut venir nous affoler. Ah ! quelle joie je goûte à me dire que pas un être sur la terre ne sait que nous sommes dans cette chambre. Être ignoré de tous, vivre ainsi au fond d’une retraite cachée, se dire qu’aucune créature, amie ou ennemie, ne peut venir frapper à votre porte, n’est-ce pas la suprême paix dont nous avons besoin ? J’ai toujours fait le songe de vivre au désert, et bien des fois j’ai cherché dans la campagne quelque trou perdu pour m’y enfouir. Lorsque je ne voyais plus les paysans ni les fermes, lorsque je me trouvais seul en face du ciel, certain de n’être aperçu par aucun