Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/234

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— Non, merci. Si vous étiez mon amant, je ne dis pas… Je m’en vais, bonsoir.

Quand elle eut refermé la porte, les époux se regardèrent un instant en silence. Ils sentaient qu’un choc inévitable devait les heurter, qu’ils ne sauraient ouvrir les lèvres sans se blesser fatalement ; ils auraient voulu ne point parler, et, malgré eux, ils étaient poussés à aller au-devant des nouvelles souffrances qui les menaçaient. Ce fut une minute cruelle de méfiance et d’anxiété. Guillaume, dans la surprise désespérée que lui causait cette attaque imprévue du malheur, attendait avec une résignation pleine d’effroi. Il avait laissé Madeleine paisible, souriante, rêvant un avenir de tendresse, et il la revoyait frémissante, irritée, les yeux fixés sur lui d’un air dur et implacable ; la difficulté qu’il éprouvait à s’expliquer ce brusque changement, redoublait ses inquiétudes, lui laissait entrevoir quelque terrible secousse dont il allait forcément recevoir le contre-coup. Il s’était approché de sa femme, tâchant de la détendre, mettant dans ses regards toute la douceur miséricordieuse qu’il avait encore en lui. Mais elle restait exaspérée par les deux scènes rapides qui venaient coup sur coup de l’écraser ; dix minutes avaient suffi pour lui faire revivre tout son passé ; maintenant elle gardait en elle l’épouvante et le froid des apparitions de Jacques et de Vert-de-Gris. Depuis la sortie de son ancien amant, elle ne s’inquiétait plus des maux que son mari endurerait, elle cherchait simplement une issue aux révoltes de son être entier. La venue de Louise avait achevé de lui donner l’égoïsme féroce de la souffrance. Une seule pensée battait dans le tumulte de sa colère : « Puisque je suis infâme, puisqu’il n’y a pas de pardon pour moi, que tout m’écrase, je serai ce que le ciel veut que je sois. »

Ce fut elle qui parla la première.

— Nous avons été lâches, dit-elle brusquement à Guillaume.

— Pourquoi me dis-tu cela ? demanda celui-ci.