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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/281

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il ne voit pas mes larmes, que je lui cache avec soin. Je souris toujours devant lui, même lorsque Tiburce me traite en sa présence comme la dernière des femmes. Hier cet homme m’a donné un soufflet dans mon salon, parce que je lui reprochais de courir les filles. Ce soufflet m’a déchiré la joue avec un bruit sec. M. de Rieu, qui était penché devant la cheminée, ne s’est retourné que quelques secondes après. Il est resté impassible, il n’avait rien entendu. Moi, je souriais, la joue toute brûlante… Nous pouvons causer. Regardez-le, il dort à moitié.

En effet, M. de Rieu semblait dormir, mais ses regards pointus passaient toujours entre ses paupières à demi closes. De petits tressaillements, qui agitaient ses doigts croisés, eussent fait deviner à des yeux plus clairvoyants qu’il devait se délecter dans de secrètes et exquises jouissances. À coup sûr, il lisait l’histoire du soufflet sur les lèvres de sa femme.

Madeleine crut devoir plaindre son amie par politesse. Elle s’étonna que l’amour de Tiburce se fût évanoui si vite.

— Je ne comprends rien à ses brutalités, répondit Hélène. Il m’aime toujours, j’en suis sûre. Mais il a des heures mauvaises… Je lui suis pourtant bien dévouée ; j’ai déjà tenté plusieurs démarches en sa faveur pour lui faire avoir à Paris la position qu’il mérite ; il est vrai qu’une mauvaise chance incompréhensible m’a partout fait échouer jusqu’à ce jour… Je suis vieille. Pensez-vous qu’il ne m’aime que par intérêt ?

Madeleine dit naturellement qu’elle ne le pensait pas.

— Cette pensée me fait beaucoup de mal, reprit hypocritement Mme de Rieu qui savait parfaitement à quoi s’en tenir.

Tiburce ne lui avait point épargné la vérité. Elle n’ignorait pas qu’il entendait se servir d’elle comme d’un échelon. Peu lui importait, d’ailleurs, pourvu qu’elle se payât sur lui de ses services. Mais elle n’en était pas encore venue au point d’avouer tout haut qu’elle consentait à ache-