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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/282

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ter l’amour du jeune homme plutôt que de n’en pas jouir. Elle s’attachait à ce garçon avec une fureur de femme qui en est à son retour d’âge, et qui retrouve, dans ce moment critique, les excitations de la puberté. Il lui était devenu indispensable. Sans doute, s’il la quittait, ne rencontrerait-elle plus un amant de sa complaisance. Elle l’eût payé au prix des dernières infamies.

— Je voudrais lui être utile, continua-t-elle, en suivant malgré elle le fil de ses pensées. Peut-être se montrerait-il reconnaissant. J’espère encore… Vous m’avez trouvée bien changée, n’est-ce pas ? Je n’ai même plus la force d’être coquette. Je souffre tant !

Elle se tassait dans son fauteuil, molle et dissoute. La vérité était que la débauche l’avait usée au point de la plonger dans une sorte de somnolence continuelle. Tout lui devenait indifférent, même les soins de sa toilette. Elle, qui avait lutté âprement contre l’âge, ne se lavait plus les mains qu’avec une extrême fatigue. Elle restait des journées entières oisive, hébétée, ruminant comme une bête ses voluptés de la veille, rêvant à celles qu’elle goûterait le lendemain. La brute lubrique seule restait, la femme se mourait en elle, avec ses désirs de plaire, ses besoins de paraître toujours jeune et d’être toujours aimée. Pourvu que Tiburce contentât ses appétits enragés de vieille femme, elle ne lui demandait ni affection ni compliments. Elle n’avait plus qu’une idée fixe, le garder sans cesse dans ses bras, sans songer même à le rendre esclave par ses sourires, par les grâces de sa figure peinte ; elle comptait que ses saletés, ses abandons orduriers suffiraient pour l’attacher à elle.

Madeleine la regardait avec une pitié écœurée. Elle ne descendait pas au fond de cette pourriture, elle s’imaginait que les brutalités de Tiburce amenaient seules cet anéantissement de chair et d’esprit. Aussi ne put-elle retenir un cri d’indignation.

— Mais on chasse un tel homme ! dit-elle.

Hélène leva la tête d’un air effaré.