Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/283

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— Le chasser, le chasser… balbutia-t-elle avec une sourde épouvante, comme si la jeune femme eût parlé de lui couper un membre.

Puis elle se remit, elle ajouta rapidement :

— Mais, chère dame, jamais Tiburce ne consentirait à s’en aller. Ah ! vous ne le connaissez pas ! Si je lui parlais de séparation, il serait capable de m’assommer… Non, non, je lui appartiens, je dois souffrir jusqu’au bout.

Elle mentait effrontément. L’après-midi même, son amant l’avait menacée de ne plus remettre les pieds dans sa chambre, si elle ne lui trouvait pas immédiatement quelque poste honorable.

— Ah ! que je vous envie, dit-elle encore, que cela doit être bon d’être vertueuse !

Et elle recommença à geindre. Elle parlait seule, elle coupait ses lamentations de sourires étranges, au souvenir de ses voluptés. Pendant près d’une heure, ce fut un radotage ignoble, de ridicules regrets et de soudaines espérances de débauches, des aveux d’un cynisme tranquille et des supplications qui demandaient aide et pitié aux honnêtes gens. Madeleine finit par éprouver un malaise croissant à écouter ses plaintes, cette confession crue l’embarrassait ; elle ne disait rien, se contentait de répondre d’un signe de tête. Par moments, elle jetait un regard inquiet sur M. de Rieu ; mais le vieillard avait toujours sur ses lèvres son vague sourire, son air d’ironique confiance. Alors, tandis qu’Hélène répétait dix fois la même histoire sale, la jeune femme fit un retour sur elle-même ; elle songea au drame qui les brisait, elle et Guillaume ; elle souhaita presque de voir son mari, sourd et imbécile, cloué dans un fauteuil, et d’être elle-même pourrie au point de n’avoir plus aucune révolte, de s’endormir voluptueusement dans sa honte.

Pendant que les deux femmes causaient de la sorte, Guillaume et Tiburce s’étaient retirés dans un petit salon voisin dont on avait fait un fumoir. Guillaume, qui recherchait avidement les conversations banales, demanda à son