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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/303

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les genoux de Jacques, elle y resta dans une sorte de stupeur. Bien qu’elle n’eût monté que quelques marches, elle était tout essoufflée. Elle se sentait comme soûle ; tout tournait autour d’elle, elle examinait la pièce d’un regard trouble. Ayant aperçu sur la cheminée un gros bouquet qui se fanait, elle eut un sourire, elle pensa au marché de la Madeleine. Puis, elle se souvint qu’elle était venue pour apprendre à Jacques son mariage avec Guillaume. Elle se tourna vers lui, gardant sans le savoir son sourire aux lèvres. Le jeune homme avait passé un bras autour de sa taille.

— Ma chère enfant, dit-il en riant d’un rire gras, tu me croiras si tu veux, mais depuis que tu as refusé de me serrer la main, je rêve de toi toutes les nuits… Dis, te souviens-tu de notre petite chambre de la rue Soufflot ?…

Sa voix devenait basse et ardente, ses mains s’égaraient dans les étoffes tièdes de son ancienne maîtresse. Il frissonnait, poussé par les excitations du réveil, pris à la gorge par des désirs cuisants. Madeleine serait venue à tout autre heure de la journée, qu’il ne l’aurait pas attirée si brusquement sur sa poitrine. Quant à elle, depuis qu’elle était sur les genoux de Jacques, elle se sentait défaillir. Il lui venait de cet homme une senteur âcre et troublante. Des chaleurs coulaient le long de ses membres, une clameur vague emplissait ses oreilles, un besoin invincible de sommeil lui faisait fermer les paupières. Elle pensait toujours : « Je suis montée pour tout lui dire, je vais tout lui dire. » Mais cette pensée se mourait au fond de son cerveau, comme une voix qui s’éloignait, qui devenait plus faible, et qu’elle finissait par ne plus entendre.

Ce fut elle dont le corps en s’abandonnant tout à coup contre une épaule du jeune homme, le renversa à demi sur le lit. Il la saisit avec emportement, la soulevant du parquet où ses pieds touchaient encore. Elle obéit à son étreinte comme un cheval qui reconnaît les genoux puis-