Aller au contenu

Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sants d’un maître. Au moment où elle se livrait, toute pâle, fermant les yeux, emportée dans un vertige qui lui ôtait la respiration, il lui sembla qu’elle tombait d’une hauteur énorme, avec de longues et lentes oscillations pleines d’une cruelle volupté. Elle sentait bien qu’elle allait se briser à terre, mais elle n’en goûtait pas moins une jouissance aiguë à être ainsi balancée dans le vide. Tout ce qui l’entourait avait disparu. Dans le vague de sa chute, dans l’évanouissement de tous ses sens, elle entendit le timbre clair d’une pendule sonner midi. Ces douze coups légers lui parurent durer un siècle.

Quand elle revint à elle, elle aperçut Jacques qui allait et venait déjà dans la chambre. Elle se leva, regardant autour d’elle, tachant de comprendre pourquoi elle était couchée sur le lit de cet homme. Puis elle se souvint. Alors, lentement, elle répara le désordre de sa toilette, elle s’approcha d’une armoire à glace devant laquelle elle renoua ses cheveux roux qui avaient coulé sur ses épaules. Elle était anéantie, stupide.

— Tu passeras la journée avec moi, lui dit Jacques ; nous dînerons ensemble.

Elle fit signe que non, de la tête. Elle remit son chapeau.

— Comment ! tu t’en vas déjà ? s’écria le jeune homme, surpris.

— Je suis pressée, répondit-elle d’une voix étrange. On m’attend.

Jacques se prit à rire et n’insista pas. Quand il l’eut reconduite sur le palier :

— Un autre jour, lui dit-il en l’embrassant, lorsque tu pourras t’échapper pour venir me voir, tâche d’avoir ta journée libre… Nous irons à Verrières.

Elle le regarda en face, comme souffletée par ces paroles. Un instant ses lèvres s’ouvrirent. Puis elle eut un geste fou, et, sans répondre, elle s’échappa, elle descendit rapidement l’escalier. Elle était au plus restée vingt minutes chez Jacques.