Aller au contenu

Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
MADELEINE FÉRAT

provisent. Son parti fut pris en quelques heures. Il décida qu’il irait en Amérique. Madeleine l’attendrait dans un pensionnat de Paris.

Il disputa les restes de sa fortune, sou à sou, et réussit à sauver une rente de deux mille francs qu’il mit sur la tête de sa fille. Il pensait que, s’il lui arrivait malheur, l’enfant aurait toujours du pain. Lui, il partait avec cent francs dans sa poche. La veille de son départ, il conduisit Madeleine chez un de ses compatriotes qu’il chargea de veiller sur elle. Lobrichon, venu à Paris vers la même époque que lui, avait commencé par être marchand d’habits et de chiffons ; plus tard, il s’était mis dans le commerce des draps, et y avait gagné une fortune assez ronde. Férat avait toute confiance en ce vieux camarade.

Il dit à Madeleine qu’il reviendrait le soir, reçut en défaillant la caresse de ses petits bras, et sortit chancelant, comme un homme ivre. Il embrassa aussi Lobrichon dans la pièce voisine.

— Si je meurs là-bas, lui dit-il d’une voix étranglée, tu lui serviras de père.

Il n’alla pas jusqu’en Amérique. Le vaisseau qui le portait, surpris par un coup de vent, revint se briser sur les côtes de France. Madeleine n’apprit la mort de son père que longtemps plus tard.

Le lendemain du départ de Férat, Lobrichon conduisit l’enfant dans un pensionnat des Ternes, qu’une vieille dame de ses amies lui avait enseigné comme une excellente maison d’éducation. Les deux mille francs devaient amplement suffire à payer la pension, et l’ancien marchand d’habits n’était pas fâché de se débarrasser sur-le-champ d’une gamine dont les jeux bruyants troublaient sa quiétude de parvenu égoïste.

Le pensionnat, situé au milieu de vastes jardins, était une retraite très confortable. Les dames qui le tenaient prenaient peu de pensionnaires ; elles avaient mis la pension à un prix élevé pour n’avoir que des filles de familles riches. Elles enseignaient à leurs élèves d’excellentes