Aller au contenu

Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
MADELEINE FÉRAT

façons ; elles leur apprenaient moins le catéchisme et l’orthographe, que les révérences et les sourires du monde. Quand une demoiselle sortait de chez elles, elle était parfaitement ignorante, mais elle pouvait entrer dans un salon en coquette habile, armée de toutes les grâces parisiennes. Ces dames avaient compris leur métier, elles étaient parvenues à donner ainsi à leur établissement une réputation de haute élégance. C’était un honneur pour les familles que de leur confier une enfant dont elles se chargeaient de faire une merveilleuse et adorable poupée.

Madeleine fut toujours mal à l’aise dans un pareil milieu. Elle manquait de souplesse, était bruyante et brusque. Pendant les récréations, elle jouait comme un gamin, avec un emportement de joie qui troublait l’élégante retraite. Si son père l’eût fait élever à son côté, elle serait devenue courageuse, franche et droite, forte d’orgueil.

Ce furent ses petites amies qui lui enseignèrent à être femme. Dans les premiers temps, elle déplut par ses gestes, par les éclats de sa voix, à ces jeunes poupées de dix ans déjà fort savantes dans l’art de ne point déranger les plis de leurs jupes. Les élèves jouaient fort peu ; elles se promenaient comme de grandes personnes dans les allées du jardin, et il y avait des bambines pas plus hautes que la main qui savaient déjà se saluer de loin du bout de leurs doigts gantés. Madeleine apprit de ces délicieuses poupées une foule de choses qu’elle ignorait complètement. Dans les coins, derrière le feuillage de quelque haie, elle surprit des groupes qui parlaient d’hommes ; elle se mêla à ces conversations, avec la curiosité ardente de la femme qui s’éveille dans l’enfant, et reçut ainsi l’éducation précoce de la vie. Le pis était que ces gamines, toutes savantes qu’elles se croyaient, bavardaient en plein rêve ; elles souhaitaient carrément des amants ; elles se confiaient leurs tendresses pour les jeunes gens qu’elles avaient rencontrés le jour de leur dernière sortie ; elles se lisaient les longues lettres d’amour qu’elles écrivaient