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MADELEINE FÉRAT

pièces. Madeleine s’endormit en écoutant, malgré elle, les pas de l’inconnu qui prenait possession de son domicile.

Guillaume, tout respectueux qu’il était, avait parfaitement remarqué le teint nacré et les admirables cheveux roux de sa voisine. S’il marcha longtemps dans sa chambre, ce soir-là, ce fut que la pensée d’avoir une femme si près de lui, lui causait une sorte de fièvre. Il entendait craquer son lit, quand elle se retournait.

Le lendemain, les jeunes gens se sourirent, naturellement. Leur intimité marcha vite. Madeleine s’abandonna d’autant plus aisément à sa sympathie pour ce garçon tranquille et doux, qu’elle se crut en toute sûreté avec lui. Elle le considéra un peu comme un enfant. Elle pensa que, s’il commettait jamais la folie de lui parler d’amour, elle le sermonnerait et aurait facilement raison de ses désirs. Elle croyait à sa force, elle voulait garder son serment de veuvage. Les jours suivants, elle accepta le bras de Guillaume, elle consentit à faire un bout de promenade en sa compagnie. Au retour, elle alla dans la chambre du jeune homme, et le jeune homme vint dans la sienne. D’ailleurs pas la moindre parole tendre, pas le moindre sourire inquiétant. Ils se traitaient en amis de la veille, avec une réserve pleine d’un charme délicat.

Au fond, leur être était vaguement troublé. Le soir, lorsqu’ils se trouvaient dans leur chambre, ils s’écoutaient marcher, ils rêvaient, sans pouvoir lire nettement les sentiments qui les agitaient. Madeleine se sentait aimée, et elle se laissait aller à cette douceur, tout en se disant qu’elle n’aimait pas. À vrai dire, elle ignorait l’amour ; sa première liaison avait eu quelque chose de brusque qui lui faisait goûter avec une jouissance infinie les attentions de Guillaume ; son cœur allait vers lui, malgré elle, peu à peu, touché par une sympathie qui devenait de la tendresse. S’il lui arrivait encore de songer à ses blessures, elle écartait les souvenirs cruels en rêvant à son nouvel ami ; la passion d’un tempérament sanguin l’avait épouvantée, l’affection caressante d’une nature nerveuse la