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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/75

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MADELEINE FÉRAT

pénétrait d’une langueur attendrie, amollissait une à une ses volontés. Quant à Guillaume, il vivait dans le rêve ; il adorait la première femme qu’il rencontrait, et cela était fatal. Dans les commencements, il ne se demanda même pas d’où venait cette femme ; elle lui souriait la première, ce sourire suffisait pour qu’il s’agenouillât et lui donnât sa vie. Il s’étonnait joyeusement d’avoir rencontré tout de suite une amante ; il avait hâte d’ouvrir son cœur si longtemps fermé, si plein de passion contenue ; s’il n’embrassait pas Madeleine, c’est qu’il n’osait, mais il croyait déjà la posséder.

Les jeunes gens passèrent ainsi une semaine. Guillaume sortait à peine ; Paris lui faisait peur, et il s’était bien gardé d’aller loger dans un des grands hôtels dont son père lui avait donné les adresses. Il s’applaudissait maintenant de s’être caché derrière le Luxembourg, au fond de ce quartier paisible où l’amour l’attendait. Il aurait voulu emmener Madeleine aux champs, bien loin, non qu’il eût dessein de la faire tomber plus vite entre ses bras, mais parce qu’il aimait les arbres et qu’il désirait se promener avec elle à leur ombre. Elle résistait, par une sorte de pressentiment. Enfin, elle accepta d’aller dîner avec lui dans un cabaret de la banlieue. Là, au restaurant du bois de Verrières, elle se livra.

Le lendemain, quand ils rentrèrent à Paris, les deux amants étaient si étourdis de leur aventure, qu’ils oubliaient parfois de se tutoyer. Ils éprouvaient même une certaine gêne, un malaise qu’ils n’avaient pas ressenti, lorsqu’ils étaient simplement camarades. Par un singulier sentiment de honte, ils ne voulurent pas coucher tous deux dans l’hôtel où la veille encore ils se trouvaient presque étrangers l’un à l’autre. Guillaume comprit que Madeleine souffrirait des sourires des garçons de service, si elle venait habiter sa chambre. Il alla, dès le soir, loger dans un hôtel voisin. D’ailleurs, maintenant qu’elle lui appartenait, il voulait posséder la jeune femme à lui seul, au fond de quelque retraite ignorée.