Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
MADELEINE FÉRAT

Elle ne dirait rien, elle garderait toute la honte pour elle. Mais elle ne put encore s’arrêter à ce parti ; sa nature droite se révoltait à l’idée d’un mensonge éternel, elle comprenait qu’elle n’aurait pas longtemps la force de vivre souriante dans son infamie et dans ses angoisses. Il valait mieux qu’elle se confessât sur-le-champ, ou bien qu’elle prît la fuite. Ces pensées tumultueuses passaient dans sa tête vide avec des bruits et des chocs douloureux. Elle s’interrogeait, sans pouvoir prendre une décision. Brusquement, elle entendit ouvrir la porte de la rue. Un pas rapide monta l’escalier. Guillaume entra.

Il avait le visage bouleversé. Il se jeta sur le canapé et éclata en sanglots. Madeleine, surprise, terrifiée, eut l’idée qu’il savait tout. Elle se leva en frémissant.

Le jeune homme pleurait toujours, le visage entre les mains, secoué par des crises de désespoir. Enfin, il tendit les bras vers sa maîtresse, il lui dit d’une voix étouffée :

— Console-moi, console-moi. Ah ! que je souffre !

Madeleine vint s’asseoir à côté de lui, n’osant comprendre, se demandant si c’était elle qui le faisait pleurer ainsi. Elle oubliait ses propres souffrances devant une pareille douleur.

— Réponds, qu’as-tu ? demanda-t-elle à son amant en lui prenant les mains.

Il la regarda comme affolé.

— Je ne voulais pas sangloter dans la rue, balbutia-t-il au milieu de ses larmes… Je courais, j’étouffais… J’avais hâte d’être ici… Laisse-moi, cela me fait du bien, cela me soulage…

Il essuya ses pleurs, puis il étouffa de nouveau et se remit à pleurer.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! je ne le verrai plus, murmura-t-il.

La jeune femme crut comprendre et fut prise d’une grande pitié. Elle attira Guillaume dans ses bras, elle le baisa au front, étanchant ses larmes, le consolant de son regard navré.