Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/254

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il y en a qui sont honnêtes, même parmi celles qui paraissent les plus folles et les plus compromises… Tout cela est très délicat. Je vous répète que vous réfléchirez et que vous comprendrez.

— Lâchez-moi, ai-je murmuré tout confus.

— Non, je ne vous lâcherai pas… Demandez-moi pardon, si vous voulez que je vous lâche.

Et, malgré son ton de plaisanterie, j’ai senti qu’elle s’irritait, que des larmes de colère montaient à ses yeux, sous l’affront que je lui avais fait. Un sentiment d’estime, un véritable respect pour cette femme si charmante et si forte, grandissaient en moi. Sa grâce d’amazone à porter vertueusement l’imbécillité de son mari, son mélange de coquetterie et de rigueur, son dédain des mauvais propos et son rôle d’homme dans le ménage, caché sous l’étourderie de sa conduite, en faisaient une figure très complexe, qui m’emplissait d’admiration.

— Pardon ! ai-je dit humblement.

Elle m’a lâché. Je me suis levé aussitôt, tandis qu’elle restait tranquille sur le banc, ne craignant plus rien de l’obscurité, ni de l’odeur troublante des feuillages. Elle a repris sa voix gaie, en disant :

— Maintenant, je reviens à notre marché.