Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/28

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de Naïs que son père envoyait travailler dans une fabrique de tuiles, malgré toute la besogne qu’il y avait au logis. L’habitation du méger, une masure collée à l’un des flancs de la Blancarde, s’égayait rarement d’un rire ou d’une chanson. Micoulin gardait un silence de vieux sauvage, enfoncé dans les réflexions de son expérience. Les deux femmes éprouvaient pour lui ce respect terrifié que les filles et les épouses du Midi témoignent au chef de la famille. Et la paix n’était guère troublée que par les appels furieux de la mère, qui se mettait les poings sur les hanches pour enfler son gosier à le rompre, en jetant aux quatre points du ciel le nom de Naïs, dès que sa fille disparaissait. Naïs entendait d’un kilomètre et rentrait, toute pâle de colère contenue.

Elle n’était point heureuse, la belle Naïs, comme on la nommait à L’Estaque. Elle avait seize ans, que Micoulin, pour un oui, pour un non, la frappait au visage, si rudement, que le sang lui partait du nez ; et, maintenant encore, malgré ses vingt ans passés, elle gardait pendant des semaines les épaules bleues des sévérités du père. Celui-ci n’était pas méchant, il usait simplement avec rigueur de sa royauté, voulant être obéi, ayant dans le sang l’ancienne autorité latine, le