Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/332

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nable. À la place du peuple, elle savait, disait-elle, comment elle forcerait le gouvernement à être juste : elle se conduirait très bien. Les discours de Berru l’indignaient et lui faisaient peur, parce qu’ils ne lui semblaient pas honnêtes. Elle voyait que Damour changeait, prenait des façons, employait des mots, qui ne lui plaisaient guère. Mais elle était plus inquiète encore de l’air ardent et sombre dont son fils Eugène écoutait Berru. Le soir, quand Louise s’était endormie sur la table, Eugène croisait les bras, buvait lentement un petit verre d’eau-de-vie, sans parler, les yeux fixés sur le peintre, qui rapportait toujours de Paris quelque histoire extraordinaire de traîtrise : des bonapartistes faisant, de Montmartre, des signaux aux Allemands, ou bien des sacs de farine et des barils de poudre noyés dans la Seine, pour livrer la ville plus tôt.

— En voilà des cancans ! disait Félicie à son fils, quand Berru s’était décidé à partir. Ne va pas te monter la tête, toi ! Tu sais qu’il ment.

— Je sais ce que je sais, répondait Eugène avec un geste terrible.

Vers le milieu de décembre, les Damour avaient mangé leurs économies. À chaque heure, on annonçait une défaite des Prussiens en pro-