Aller au contenu

Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’un geste brusque, lui avait montré Félicie, si belle et si jeune, dans les glaces du comptoir, en disant : « Tiens ! la v’là ! » Ce n’était pas possible, ça devrait être Louise qui ressemblait ainsi à sa mère ; car, pour sûr, Félicie était plus vieille. Et toute cette boutique riche, les viandes qui saignaient, les cuivres qui luisaient, puis cette femme bien mise, l’air bourgeois, la main dans un tas d’argent, lui enlevaient sa colère et son audace, en lui causant une véritable peur. Il avait une envie de se sauver à toutes jambes, pris de honte, pâlissant à l’idée d’entrer là-dedans. Jamais cette dame ne consentirait maintenant à le reprendre, lui qui avait une si fichue mine, avec sa grande barbe et sa blouse sale. Il tournait les talons, il allait enfiler la rue des Moines, pour qu’on ne l’aperçût même pas, lorsque Berru le retint.

— Tonnerre de Dieu ! tu n’as donc pas de sang dans les veines !… Ah bien ! à ta place, c’est moi qui ferais danser la bourgeoisie ! Et je ne m’en irais pas sans partager ; oui, la moitié des gigots et du reste… Veux-tu bien marcher, poule mouillée !

Et il avait forcé Damour à traverser la rue. Puis, après avoir demandé à un garçon si mon-