Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/102

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fois pour arracher une herbe. Quand elle était restée en arrière, elle s’arrêtait et regardait de loin son amant et son mari.

— Hé ! tu n’as pas faim ? finit par lui crier Camille.

— Si, répondit-elle.

— Alors, en route !

Thérèse n’avait pas faim ; seulement elle était lasse et inquiète. Elle ignorait les projets de Laurent, ses jambes tremblaient sous elle d’anxiété.

Les trois promeneurs revinrent au bord de l’eau et cherchèrent un restaurant. Ils s’attablèrent sur une sorte de terrasse en planches, dans une gargote puant la graisse et le vin. La maison était pleine de cris, de chansons, de bruits de vaisselle ; dans chaque cabinet, dans chaque salon, il y avait des sociétés qui parlaient haut, et les minces cloisons donnaient une sonorité vibrante à tout ce tapage. Les garçons en montant faisaient trembler l’escalier.

En haut, sur la terrasse, les souffles de la rivière chassaient les odeurs de graillon. Thérèse, appuyée contre la balustrade, regardait sur le quai. À droite et à gauche, s’étendaient deux files de guinguettes et de baraques de foire ; sous les tonnelles, entre les feuilles rares et jaunes, on apercevait la blancheur des nappes, les taches noires des paletots, les jupes éclatantes des femmes ; les gens allaient et venaient, nu-tête, courant et riant ; et, au bruit criard de la foule, se mêlaient les chansons lamentables des orgues de Barba-