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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/103

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rie. Une odeur de friture et de poussière traînait dans l’air calme.

Au-dessous de Thérèse, des filles du quartier Latin, sur un tapis de gazon usé, tournaient, en chantant une ronde enfantine. Le chapeau tombé sur les épaules, les cheveux dénoués, elles se tenaient par la main, jouant comme des petites filles. Elles retrouvaient un filet de voix fraîche, et leurs visages pâles, que des caresses brutales avaient martelés, se coloraient tendrement de rougeurs de vierges. Dans leurs grands yeux impurs, passaient des humidités attendries. Des étudiants, fumant des pipes de terre blanche, les regardaient tourner en leur jetant des plaisanteries grasses.

Et, au-delà, sur la Seine, sur les coteaux, descendait la sérénité du soir, un air bleuâtre et vague qui noyait les arbres dans une vapeur transparente.

— Eh bien ! cria Laurent en se penchant sur la rampe de l’escalier, garçon, et ce dîner ?

Puis, comme se ravisant :

— Dis donc, Camille, ajouta-t-il, si nous allions faire une promenade sur l’eau, avant de nous mettre à table ?… On aurait le temps de faire rôtir notre poulet. Nous allons nous ennuyer pendant une heure à attendre.

— Comme tu voudras, répondit nonchalamment Camille… Mais Thérèse a faim.

— Non, non, je puis attendre, se hâta de dire la jeune femme, que Laurent regardait avec des yeux fixes.