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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/130

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avait donné un grand coup sur la tête, et elle était tombée comme assommée. Elle demeurait, des heures entières, tranquille et inerte, absorbée au fond du néant de son désespoir ; puis des crises la prenaient parfois, elle pleurait, elle criait, elle délirait. Thérèse, dans la chambre voisine, semblait dormir ; elle avait tourné la face contre la muraille et tiré la couverture sur ses yeux ; elle s’allongeait ainsi, roide et muette, sans qu’un sanglot de son corps soulevât le drap qui la couvrait. On eût dit qu’elle cachait dans l’ombre de l’alcôve les pensées qui la tenaient rigide. Suzanne, qui gardait les deux femmes, allait mollement de l’une à l’autre, traînant les pieds avec douceur, penchant son visage de cire sur les deux couches, sans parvenir à faire retourner Thérèse, qui avait de brusques mouvements d’impatience, ni à consoler madame Raquin, dont les pleurs coulaient dès qu’une voix la tirait de son abattement.

Le troisième jour, Thérèse repoussa la couverture, s’assit sur le lit, rapidement, avec une sorte de décision fiévreuse. Elle écarta ses cheveux, en se prenant les tempes, et resta ainsi un moment, les mains au front, les yeux fixes, semblant réfléchir encore. Puis elle sauta sur le tapis. Ses membres étaient frissonnants et rouges de fièvre ; de larges plaques livides marbraient sa peau qui se plissait par endroits comme vide de chair. Elle était vieillie.

Suzanne, qui entrait, resta toute surprise de la trouver levée ; elle lui conseilla, d’un ton placide et traî-