Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/132

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tombée en enfance. L’apparition brusque de sa nièce avait amené en elle une crise favorable qui venait de lui rendre la mémoire et la conscience des choses et des êtres qui l’entouraient. Elle remercia Suzanne de ses soins, elle parla, affaiblie, ne délirant plus, pleine d’une tristesse qui l’étouffait par moments. Elle regardait marcher Thérèse avec des larmes soudaines ; alors, elle l’appelait auprès d’elle, l’embrassait en sanglotant encore, lui disait en suffocant qu’elle n’avait plus qu’elle au monde.

Le soir, elle consentit à se lever, à essayer de manger. Thérèse put alors voir quel terrible coup avait reçu sa tante. Les jambes de la pauvre vieille s’étaient alourdies. Il lui fallut une canne pour se traîner dans la salle à manger, et là il lui sembla que les murs vacillaient autour d’elle.

Dès le lendemain, elle voulut cependant qu’on ouvrît la boutique. Elle craignait de devenir folle en restant seule dans sa chambre. Elle descendit pesamment l’escalier de bois, en posant les deux pieds sur chaque marche, et vint s’asseoir derrière le comptoir. À partir de ce jour, elle y resta clouée dans une douleur sereine.

À côté d’elle, Thérèse songeait et attendait. La boutique reprit son calme noir.