Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/162

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être, cramponnés, muets, tandis que des vertiges, d’une volupté cuisante, alanguissaient leurs membres, leur donnaient la folie de la chute. Mais en face du moment présent, de leur attente anxieuse et de leurs désirs peureux, ils sentaient l’impérieuse nécessité de s’aveugler, de rêver un avenir de félicités amoureuses et de jouissances paisibles. Plus ils tremblaient l’un devant l’autre, plus ils devinaient l’horreur du gouffre au fond duquel ils allaient se jeter, et plus ils cherchaient à se faire à eux-mêmes des promesses de bonheur, à étaler devant eux les faits invincibles qui les amenaient fatalement au mariage.

Thérèse désirait uniquement se marier parce qu’elle avait peur et que son organisme réclamait les caresses violentes de Laurent. Elle était en proie à une crise nerveuse qui la rendait comme folle. À vrai dire, elle ne raisonnait guère, elle se jetait dans la passion, l’esprit détraqué par les romans qu’elle venait de lire, la chair irritée par les insomnies cruelles qui la tenaient éveillée depuis plusieurs semaines.

Laurent, d’un tempérament plus épais, tout en cédant à ses terreurs et à ses désirs, entendait raisonner sa décision. Pour se bien prouver que son mariage était nécessaire et qu’il allait enfin être parfaitement heureux, pour dissiper les craintes vagues qui le prenaient, il refaisait tous ses calculs d’autrefois. Son père, le paysan de Jeufosse, s’entêtant à ne pas mourir, il se disait que l’héritage pouvait se faire longtemps attendre ; il craignait même que cet héritage ne lui