Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/163

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échappât et n’allât dans les poches d’un de ses cousins, grand gaillard qui piochait la terre à la vive satisfaction du vieux Laurent. Et lui, il serait toujours pauvre, il vivrait sans femme, dans un grenier, dormant mal, mangeant plus mal encore. D’ailleurs, il comptait ne pas travailler toute sa vie ; il commençait à s’ennuyer singulièrement à son bureau ; la légère besogne qui lui était confiée, devenait accablante pour sa paresse. Le résultat de ses réflexions était toujours que le suprême bonheur consiste à ne rien faire. Alors il se rappelait qu’il avait noyé Camille pour épouser Thérèse et ne plus rien faire ensuite. Certes, le désir de posséder à lui seul sa maîtresse était entré pour beaucoup dans la pensée de son crime, mais il avait été conduit au meurtre peut-être plus encore par l’espérance de se mettre à la place de Camille, de se faire soigner comme lui, de goûter une béatitude de toutes les heures ; si la passion seule l’eût poussé, il n’aurait pas montré tant de lâcheté, tant de prudence ; la vérité était qu’il avait cherché à assurer, par un assassinat, le calme et l’oisiveté de sa vie, le contentement durable de ses appétits. Toutes ces pensées, avouées ou inconscientes, lui revenaient. Il se répétait, pour s’encourager, qu’il était temps de tirer le profit attendu de la mort de Camille. Et il étalait devant lui les avantages, les bonheurs de son existence future : il quitterait son bureau, il vivrait dans une paresse délicieuse ; il mangerait, il boirait, il dormirait son soûl ; il aurait sans cesse sous la main une femme ardente qui rétablirait l’équilibre de son