Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/169

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tête-à-tête avec les désespoirs de Thérèse. D’ailleurs, Laurent ne s’absentait une soirée que pour mieux asseoir sa puissance ; il venait tous les jours à la boutique en sortant de son bureau, il y restait jusqu’à la fermeture du passage. Il faisait les commissions, il donnait à madame Raquin, qui ne marchait qu’avec peine, les menus objets dont elle avait besoin. Puis il s’asseyait, il causait. Il avait trouvé une voix d’acteur, douce et pénétrante, qu’il employait pour flatter les oreilles et le cœur de la bonne vieille. Surtout, il semblait s’inquiéter beaucoup de la santé de Thérèse, en ami, en homme tendre dont l’âme souffre de la souffrance d’autrui. À plusieurs reprises, il prit madame Raquin à part, il la terrifia en paraissant très-effrayé lui-même des changements, des ravages qu’il disait voir sur le visage de la jeune femme.

— Nous la perdrons bientôt, murmurait-il avec des larmes dans la voix. Nous ne pouvons nous dissimuler qu’elle est bien malade. Ah ! notre pauvre bonheur, nos bonnes et tranquilles soirées !

Madame Raquin l’écoutait avec angoisse. Laurent poussait même l’audace jusqu’à parler de Camille.

— Voyez-vous, disait-il encore à la mercière, la mort de mon pauvre ami a été un coup terrible pour elle. Elle se meurt depuis deux ans, depuis le jour funeste où elle a perdu Camille. Rien ne la consolera, rien ne la guérira. Il faut nous résigner.

Ces mensonges impudents faisaient pleurer la vieille dame à chaudes larmes. Le souvenir de son fils la trou-