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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/170

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blait et l’aveuglait. Chaque fois qu’on prononçait le nom de Camille, elle éclatait en sanglots, elle s’abandonnait, elle aurait embrassé la personne qui nommait son pauvre enfant. Laurent avait remarqué l’effet de trouble et d’attendrissement que ce nom produisait sur elle. Il pouvait la faire pleurer à volonté, la briser d’une émotion qui lui ôtait la vue nette des choses, et il abusait de son pouvoir pour la tenir toujours souple et endolorie dans sa main. Chaque soir, malgré les révoltes sourdes de ses entrailles qui tressaillaient, il mettait la conversation sur les rares qualités, sur le cœur tendre et l’esprit de Camille ; il vantait sa victime avec une impudence parfaite. Par moments, lorsqu’il rencontrait les regards de Thérèse fixés étrangement sur les siens, il frissonnait, il finissait par croire lui-même tout le bien qu’il disait du noyé ; alors il se taisait, pris brusquement d’une atroce jalousie, craignant que la veuve n’aimât l’homme qu’il avait jeté à l’eau et qu’il vantait maintenant avec une conviction d’halluciné. Pendant toute la conversation, madame Raquin était dans les larmes, ne voyant rien autour d’elle. Tout en pleurant, elle songeait que Laurent était un cœur aimant et généreux ; lui seul se souvenait de son fils, lui seul en parlait encore d’une voix tremblante et émue. Elle essuyait ses larmes, elle regardait le jeune homme avec une tendresse infinie, elle l’aimait comme son propre enfant.

Un jeudi soir, Michaud et Grivet se trouvaient déjà dans la salle à manger, lorsque Laurent entra et s’ap-