Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/176

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avec des yeux hébétés, tandis que madame Raquin, que les sanglots étouffaient, balbutiait :

— Oui, oui, mon ami, épousez-la, rendez-la heureuse, mon fils vous remerciera du fond de sa tombe.

Laurent sentit qu’il fléchissait, il s’appuya sur le dossier d’une chaise. Michaud, qui, lui aussi, était ému aux larmes, le poussa vers Thérèse, en disant :

— Embrassez-vous, ce seront vos fiançailles.

Le jeune homme fut pris d’un étrange malaise en posant ses lèvres sur les joues de la veuve, et celle-ci se recula brusquement, comme brûlée par les deux baisers de son amant. C’étaient les premières caresses que cet homme lui faisait devant témoins ; tout son sang lui monta à la face, elle se sentit rouge et ardente, elle qui ignorait la pudeur et qui n’avait jamais rougi dans les hontes de ses amours.

Après cette crise, les deux meurtriers respirèrent. Leur mariage était décidé, ils touchaient enfin au but qu’ils poursuivaient depuis si longtemps. Tout fut réglé le soir même. Le jeudi suivant, le mariage fut annoncé à Grivet, à Olivier et à sa femme. Michaud, en donnant cette nouvelle, était ravi ; il se frottait les mains et répétait :

— C’est moi qui ai pensé à cela, c’est moi qui les ai mariés… Vous verrez le joli couple !

Suzanne vint embrasser silencieusement Thérèse. Cette pauvre créature, toute morte et toute blanche, s’était prise d’amitié pour la jeune veuve, sombre et roide. Elle l’aimait en enfant, avec une sorte de ter-