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Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/183

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gardaient, étonnés, ne comprenant plus pourquoi cela leur serait permis. Ils ne sentaient pas leur union, ils rêvaient au contraire qu’on venait de les écarter violemment et de les jeter loin l’un de l’autre.

Les invités, qui ricanaient bêtement autour d’eux, ayant voulu les entendre se tutoyer, pour dissiper toute gêne, ils balbutièrent, ils rougirent, ils ne purent jamais se résoudre à se traiter en amants, devant le monde.

Dans l’attente leurs désirs s’étaient usés, tout le passé avait disparu. Ils perdaient leurs violents appétits de volupté, ils oubliaient même leur joie du matin, cette joie profonde qui les avait pris à la pensée qu’ils n’auraient plus peur désormais. Ils étaient simplement las et ahuris de tout ce qui se passait ; les faits de la journée tournaient dans leur tête, incompréhensibles et monstrueux. Ils restaient là, muets, souriants, n’attendant rien, n’espérant rien. Au fond de leur accablement, s’agitait une anxiété vaguement douloureuse.

Et Laurent, à chaque mouvement de son cou, éprouvait une cuisson ardente qui lui mordait la chair ; son faux-col coupait et pinçait la morsure de Camille. Pendant que le maire lui lisait le code, pendant que le prêtre lui parlait de Dieu, à toutes les minutes de cette longue journée, il avait senti les dents du noyé qui lui entraient dans la peau. Il s’imaginait par moments qu’un filet de sang lui coulait sur la poitrine et allait tacher de rouge la blancheur de son gilet.