Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/233

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jeune homme, disait-il, qui avait devant lui un si bel avenir, un jeune homme qui en était arrivé, en quatre années, au chiffre d’appointements que lui, Grivet, avait mis vingt ans à atteindre ! Laurent le stupéfia encore davantage en lui disant qu’il allait se remettre tout entier à la peinture.

Enfin l’artiste s’installa dans son atelier. Cet atelier était une sorte de grenier carré, long et large d’environ cinq ou six mètres ; le plafond s’inclinait brusquement, en pente raide, percé d’une large fenêtre qui laissait tomber une lumière blanche et crue sur le plancher et sur les murs noirâtres. Les bruits de la rue ne montaient pas jusqu’à ces hauteurs. La pièce, silencieuse, blafarde, s’ouvrant en haut sur le ciel, ressemblait à un trou, à un caveau creusé dans une argile grise. Laurent meubla ce caveau tant bien que mal ; il y apporta deux chaises dépaillées, une table qu’il appuya contre un mur pour qu’elle ne se laissât pas glisser à terre, un vieux buffet de cuisine, sa boîte à couleurs et son ancien chevalet ; tout le luxe du lieu consista en un vaste divan qu’il acheta trente francs chez un brocanteur.

Il resta quinze jours sans songer seulement à toucher à ses pinceaux. Il arrivait entre huit et neuf heures, fumait, se couchait sur le divan, attendait midi, heureux d’être au matin et d’avoir encore devant lui de longues heures de jour. À midi, il allait déjeuner, puis il se hâtait de revenir, pour être seul, pour ne plus voir le visage pâle de Thérèse. Alors il digérait,