Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/267

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Et la querelle continuait, âpre, éclatante, tuant de nouveau Camille. Ni Thérèse ni Laurent n’osaient céder à la pensée de pitié qui leur venait parfois, d’enfermer la paralytique dans sa chambre, lorsqu’ils se disputaient, et de lui éviter ainsi le récit du crime. Ils redoutaient de s’assommer l’un l’autre, s’ils n’avaient plus entre eux ce cadavre à demi vivant. Leur pitié cédait devant leur lâcheté, ils imposaient à madame Raquin des souffrances indicibles, parce qu’ils avaient besoin de sa présence pour se protéger contre leurs hallucinations.

Toutes leurs disputes se ressemblaient et les amenaient aux mêmes accusations. Dès que le nom de Camille était prononcé, dès que l’un d’eux accusait l’autre d’avoir tué cet homme, il y avait un choc effrayant.

Un soir, à dîner, Laurent, qui cherchait un prétexte pour s’irriter, trouva que l’eau de la carafe était tiède ; il déclara que l’eau tiède lui donnait des nausées, et qu’il en voulait de la fraîche.

— Je n’ai pu me procurer de la glace, répondit sèchement Thérèse.

— C’est bien, je ne boirai pas, reprit Laurent.

— Cette eau est excellente.

— Elle est chaude et a un goût de bourbe. On dirait de l’eau de rivière.

Thérèse répéta :

— De l’eau de rivière…