Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/275

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chirent, si vous saviez combien je souffre, peut-être auriez-vous pitié… Non, pas de pitié pour moi. Je voudrais mourir ainsi à vos pieds, écrasée par la honte et la douleur.

Elle parlait de la sorte pendant des heures entières, passant du désespoir à l’espérance, se condamnant, puis se pardonnant ; elle prenait une voix de petite fille malade, tantôt brève, tantôt plaintive ; elle s’aplatissait sur le carreau et se redressait ensuite, obéissant à toutes les idées d’humilité et de fierté, de repentir et de révolte qui lui passaient par la tête. Parfois même elle oubliait qu’elle était agenouillée devant madame Raquin, elle continuait son monologue dans le rêve. Quand elle s’était bien étourdie de ses propres paroles, elle se relevait chancelante, hébétée, et elle descendait à la boutique, calmée, ne craignant plus d’éclater en sanglots nerveux devant ses clientes. Lorsqu’un nouveau besoin de remords la prenait, elle se hâtait de remonter et de s’agenouiller encore aux pieds de l’impotente. Et la scène recommençait dix fois par jour.

Thérèse ne songeait jamais que ses larmes et l’étalage de son repentir devaient imposer à sa tante des angoisses indicibles. La vérité était que, si l’on avait cherché à inventer un supplice pour torturer madame Raquin, on n’en aurait pas à coup sûr trouvé de plus effroyable que la comédie du remords jouée par sa nièce. La paralytique devinait l’égoïsme caché sous ces effusions de douleur. Elle souffrait horriblement de ces longs monologues qu’elle était forcée de subir à