Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/83

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— Je ne lui en veux pas, dit-il enfin sans le nommer ; mais vraiment il nous gêne trop… Est-ce que tu ne pourrais pas nous en débarrasser, l’envoyer en voyage, quelque part, bien loin ?

— Ah ! oui, l’envoyer en voyage ! reprit la jeune femme en hochant la tête. Tu crois qu’un homme comme ça consent à voyager… Il n’y a qu’un voyage dont on ne revient pas… Mais il nous enterrera tous ; ces gens qui n’ont que le souffle ne meurent jamais.

Il y eut un silence. Laurent se traîna sur les genoux, se serrant contre sa maîtresse, appuyant la tête contre sa poitrine.

— J’avais fait un rêve, dit-il ; je voulais passer une nuit entière avec toi, m’endormir dans tes bras et me réveiller le lendemain sous tes baisers… Je voudrais être ton mari… Tu comprends ?

— Oui, oui, répondit Thérèse, frissonnante.

Et elle se pencha brusquement sur le visage de Laurent, qu’elle couvrit de baisers. Elle égratignait les brides de son chapeau contre la barbe rude du jeune homme ; elle ne songeait plus qu’elle était habillée et qu’elle allait froisser ses vêtements. Elle sanglotait, elle prononçait des paroles haletantes au milieu de ses larmes.

— Ne dis pas ces choses, répétait-elle, car je n’aurais plus la force de te quitter, je resterais là… Donne-moi du courage plutôt ; dis-moi que nous nous verrons encore… N’est-ce pas que tu as besoin de moi et