Aller au contenu

Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

visage paraît froid, mais son cœur est chaud de toutes les tendresses et de tous les dévouements. »

Les deux amants n’avaient plus de rendez-vous. Depuis la soirée de la rue Saint-Victor, ils ne s’étaient plus rencontrés seul à seule. Le soir, lorsqu’ils se trouvaient face à face, en apparence tranquilles et étrangers l’un à l’autre, des orages de passion, d’épouvante et de désir passaient sous la chair calme de leur visage. Et il y avait dans Thérèse des emportements, des lâchetés, des railleries cruelles ; il y avait dans Laurent des brutalités sombres, des indécisions poignantes. Eux-mêmes n’osaient regarder au fond de leur être, au fond de cette fièvre trouble qui emplissait leur cerveau d’une sorte de vapeur épaisse et âcre.

Quand ils pouvaient, derrière une porte, sans parler, ils se serraient les mains à se les briser, dans une étreinte rude et courte. Ils auraient voulu, mutuellement, emporter des lambeaux de leur chair, collés à leurs doigts. Ils n’avaient plus que ce serrement de mains pour apaiser leurs désirs. Ils y mettaient tout leur corps. Ils ne se demandaient rien autre chose. Ils attendaient.

Un jeudi soir, avant de se mettre au jeu, les invités de la famille Raquin, comme à l’ordinaire, eurent un bout de causerie. Un des grands sujets de conversation était de parler au vieux Michaud de ses anciennes fonctions, de le questionner sur les étranges et sinistres aventures auxquelles il avait dû être mêlé. Alors Grivet et Camille écoutaient les histoires du commis-