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féconde nature à elle-même, n’avait qu’un jardinier et deux aides uniquement chargés des nettoyages, en dehors du potager et des quelques corbeilles de fleurs cultivées, devant la terrasse de la maison.

Le grand-père, Aurélien Jordan de Beauvisage, était né en 1790 à la veille de la Terreur. Les Beauvisage, une des plus antiques et des plus illustres familles du pays, déchus déjà, ne possédaient plus, de leurs immenses terres d’autrefois, que deux fermes jointes aujourd’hui au territoire des Combettes, sans compter près de mille hectares de roches nues, de landes stériles, toute une large balide du haut plateau des monts Bleuses. Aurélien n’avait pas trois ans que ses parents durent émigrer, abandonnant, par une terrible nuit d’hiver, leur château en flammes. Et, jusqu’en 1816, il habita l’Autriche, où, coup sur coup, sa mère, puis son père étaient morts, le laissant dans une détresse affreuse, élevé rudement à l’école du travail manuel, ne mangeant son pain que lorsqu’il avait gagné, comme ouvrier mécanicien, attaché à une mine de fer. Il venait donc d’avoir vingt-six ans, lorsque, sous Louis XVIII, rentrant à Beauclair, il trouva le domaine ancestral bien diminué de nouveau, ayant perdu les deux fermes, réduit simplement au petit parc actuel, en dehors des mille hectares de cailloux dont personne ne voulait. Le malheur l’avait singulièrement démocratisé, il sentit qu’il ne pouvait plus être un Beauvisage, signa désormais Jordan tout court, épousa la fille d’un très riche fermier de Saint-Cron, dont la dot lui permit de faire construire, sur les cendres du château, la bourgeoise maison de briques que son petit-fils habitait encore. Mais, surtout, devenu un travailleur, les mains restées noires il se souvint de la mine de fer d’Autriche, du haut fourneau qu’il y avait desservi ; et, dès 1818, il chercha, il découvrit une mine semblable parmi les roches désolées de son domaine, dont il soupçonnait l’existence, grâce à