Page:Zola - Travail.djvu/157

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d’hier que Delaveau rêve de joindre le haut fourneau de la Crêcherie à ses aciéries de l’Abîme. Il m’a tâté déjà, je n’aurais qu’un signe à faire. »

Au nom de Delaveau, Luc eut un brusque mouvement, car il s’expliquait enfin pourquoi celui-ci s’était montré si inquiet, si pressant dans ses questions. Et, comme son hôte, ayant surpris son geste, lui demandait s’il avait quelque chose à dire contre le directeur de l’Abîme :

« Non, non, je le crois, ainsi que vous, un homme intelligent et actif.

— C’est cela même, continua Jordan, l’affaire serait entre des mains expertes… Il faudrait, je le crains, prendre des arrangements accepter des paiements à de très longues échéances, car l’argent lui manque, Boisgelin n’a plus de capitaux disponibles. Mais peu m’importe, je puis attendre, des garanties sur l’Abîme me suffiraient. »

Et, s’arrêtant, regardant Luc bien en face, il conclut :

« Voyons, me conseillez-vous d’en finir, de traiter avec Delaveau ? »

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite. Un malaise, une invincible répugnance montaient de tout son être. Qu’était-ce donc ? Pourquoi s’indignait-il, se révoltait-il, comme si, en conseillant de livrer le haut fourneau à cet homme, il eût commis une action mauvaise, dont il garderait le remords ? Cependant, il ne trouvait aucune bonne raison qui l’autorisât à conseiller le contraire. Et il finit par répéter :

« Certainement, tout ce que vous me dites est fort sage, je ne puis que vous approuver… Seulement, réfléchissez, réfléchissez encore. »

Jusque-là, Sœurette avait écouté très attentivement, sans intervenir. Elle semblait partager le sourd malaise