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amour, et dont il apportait ainsi une gerbe à Sœurette, chaque fois qu’il déjeunait à la Crêcherie. Pendant qu’on servait le café, la discussion reprit entre le prêtre et l’instituteur, qui n’avaient cessé, depuis les hors-d’œuvre, de batailler sur les questions d’instruction et d’éducation. « Si vous n’obtenez rien de vos élèves, déclara l’abbé Marle, c’est que vous avez chassé Dieu de votre école. Dieu est le maître des intelligences, on ne sait rien que par lui. » Très grand, très robuste, le nez fort, dans sa large face pleine, aux traits réguliers, il parlait avec l’obstination autoritaire de son étroite doctrine, mettant le salut du monde dans le catholicisme, pratiqué selon la lettre, en la stricte observance des dogmes. Et, devant lui, Hermeline, l’instituteur, mince, de figure anguleuse, au front osseux, au menton aigu, s’entêtait de même, avec des rages froides, tout aussi formaliste et autoritaire, dans sa religion mécanique du progrès, réalisé à coups de lois, et militairement.

« Laissez-moi donc tranquille avec votre Dieu qui n’a jamais conduit les hommes qu’à l’erreur et à la ruine !… Si je n’obtiens rien de mes élèves, c’est d’abord qu’on me les enlève trop tôt pour les mettre à l’usine. Et c’est ensuite, c’est surtout que la discipline se relâche de plus en plus, que le maître est désormais sans autorité aucune. Ma parole ! s’il m’était permis de leur allonger quelques bons coups de trique, je crois que ça leur ouvrirait un peu le crâne. »

Et, comme Sœurette, émue, se récriait, il s’expliqua. Pour lui, il n’y avait qu’un sauvetage possible, dans la corruption générale : lier les enfants à la discipline de la liberté, entrer en eux le régime républicain, par la force s’il le fallait, pour qu’il n’en sortît plus. Son rêve était de faire de chaque élève un serviteur de l’État,